La vengeance du coq

Tout est vivant dans les églises. Malheur aux sacrilèges destructeurs des choses saintes. La vengeance du ciel s’abat sur eux et parfois d’une façon terrible.
Ainsi parlait un ancien facteur venu de Valognes et retiré aux Moitiers d’Allonne.
Il se plaisait à raconter un fait de la période de la Révolution arrivé dans la petite ville, maintenant meurtrie par la guerre.
A Alleaume, en 1793, un ami de LECARPENTIER, le conventionnel connu, avait brisé les deux bras d’une statue vénérée. Quelques mois plus tard, un fils lui était né sans bras. Tous avaient vus là la vengeance du Ciel.
Les Moitiers d’Allonne est une charmante commune du canton de Barneville, située sur un plateau, éventée par les vents du large, ceux du Nord et ceux de l’Est.
Au sommet de la côte de Quinnetot, on y jouit d’une vue incomparable sur la baie de Barneville.
D’une part, c’est le petit port de Carteret si vivant avec ses barques de pêcheurs habituées aux remous du passage de la Déroute.
A quelques kilomètres en mer, ce sont les Ecréhous, suite d’îles rocheuses recelant dans les anfractuosités de leurs côtes de nombreux et superbes homards, plus loin, l’île de Jersey, aux couleurs changeantes selon les heures de la journée, puis en direction de Granville, une plage s’étendant à perte de vue avec quelques havres s’emplissant au moment de la marée ; dans les terres, des boqueteaux, donnant de loin, l’impression de bois immenses avec des prairies aux verts variés et chatoyants.
En direction de Sortosville, c’est la fin des collines de Normandie, hauteurs harmonieuses où se trouvaient jadis de nombreux moulins à vent, dont il reste encore des ruines bien conservées : Tels les trois moulins de Beauquais, visibles de partout, dominant comme des tours aristocratiques des sommets arides où poussent des ajoncs d’or, bruyères roses et fougères arborescentes.
Pendant de longues années, côte à côte, s’élevaient deux églises, sources de rivalité entre les habitants de la commune. La plus ancienne a été abattue depuis peu, et une tour toute encadrée de lierre, est le seul vestige de la paroisse St Pierre.
Isidore LE NOUVEL était le meilleur fusil de la paroisse Notre Dame. Pas un n’était comme lui capable de placer, dans les flancs d’un sanglier, la balle au bon endroit.
En hiver, quand les bêtes arrivaient aux abords des fermes, marquant dans la neige les traces de leurs pattes, on s’adressait à lui pour organiser les battues. C’était des chasses dangereuses où il était passé maître. Les fermiers importants du pays reconnaissaient, sans jalousie, sa supériorité incontestée. Ses prouesses étaient sans nombre et il les racontait sans fausse modestie. On aimait entendre le récit de ses succès, tant il les narrait sans jamais lasser l’intérêt de ses auditeurs.
Un jour, l’arme en bandoulière, se promenant à quelque distance de l’église, il aperçut sur le clocher un corbeau splendide ; Il n’hésita pas à risquer une balle.
Il tira sur la bête, la manqua, mais aussitôt le coq dominant le paratonnerre s’abattit. Le coup de feu avait été remarqué par quelques enfants sortant au même moment de l’école. Le fait se répandit comme une traînée de poudre dans le village.
On prit la chose gaiement et l’on se gaussa du chasseur malheureux une fois, après de si brillants succès.
Le facteur pensionné en apprenant la nouvelle devint grave son pessimisme mystique lui fit augurer toutes sortes de malheurs.
Aux Moitiers d’Allonne l’on n’est pas superstitieux et ses dires n’eurent aucune créance. Seul le curé des Moitiers était triste, il se demandait quand et comment son coq reprendrait sa place au sommet de l’église.
A la campagne l’on n’est pas pressé et l’on se contente facilement du provisoire.
Le prêtre avait vu juste. Le maire avisé, annonça la restauration prochaine, mais il fallait pour cela s’adresser à un couvreur de Carteret, seul capable d’exécuter pareil travail.
Comme beaucoup d’entrepreneurs, il annonçait sa venue prochaine mais se mettait à l’œuvre sans se presser.
Isidor LE NOUVEL fut le premier puni. Le lendemain de son coup, son cheval se cassa la jambe. Le vétérinaire de Barneville exigea pour la bête, un long moment de repos.
Dans une ferme voisine de l’église, plusieurs veaux crevèrent en même temps sans être malades auparavant. Quelques jours plus tard une violente tempête découvrit plusieurs toits de granges dans des exploitations des environs.
On commença à s’inquiéter, le facteur triomphait. C’était à n’en pas douter une vengeance du Ciel pour punir les habitants de leur retard à remettre en place le coq du clocher. Il annonçait des épreuves semblables aux dix plaies d’Egypte.
Le maire se décida à se rendre à Carteret pour presser l’entrepreneur, il ne lui fut pas possible d’user de la menace d’un concurrent : Le zingueur étant le seul à pouvoir faire le travail. Quelques jours plus tard, la fille du plus gros fermier des Moitiers, faillit être emportée par le croup.
Les femmes, le dimanche au sortir de la messe, se concertaient et se demandaient comment faire cesser cette série noire. Le curé, dans un sermon avait été sombre, à le croire, lui aussi, frappé de ces coïncidences frappantes.
Le zingueur de Carteret était un artisan remarquable dans sa profession, mais affligé d’un défaut assez fréquent dans les campagnes normandes, il avait pour l’eau de vie de cidre un goût fort prononcé. Il s’agissait de le prendre par son pêché mignon.
Les cultivateurs aiment peu donner les produits de vente facile.
L’affaire était grave et on décida la femme de l’adjoint de faire une tournée dans les fermes. Certains haussaient les épaules devant cette demande imprévue.
Les femmes comprenaient mieux.
Les petites fioles réunies remplirent un tonnelet d’eau-de-vie de cidre. Il fallait le porter au plombier. Les routes n’étaient pas sures, on était à la merci de la curiosité d’un agent du fisc.
On profita d’un jour de pluie pour porter à Carteret le produit de la collecte. Le zingueur jura de venir le surlendemain. La veille, un grand incendie éclata dans une ferme aux confins de Sénoville.
Enfin, on vit arriver tout un jeu d’échelles. C’était la délivrance. Beaucoup de paroissiens assistèrent à l’exécution du travail. Le moins curieux ne fut pas Isidor LE NOUVEL, montré du doigt depuis son exploit, par toutes les femmes des Moitiers.
Pendant le scellement du coq, le facteur pensionné était là, répétant comme un leit motiv : « Je vous l’avais bien dit » très convaincu.
Désormais, l’on put voir sur le clocher, le coq triomphant. Les volées de cloches n’ébranlent pas sa sérénité, il semble dire aux paroissiens : « Voyez mon importance. Veillez sur moi, car moi aussi je vous protège ».
Isidor LE NOUVEL a repris son air satisfait, résolu, avant de tenter une prouesse, de prendre garde pour l’exécuter avec succès.

Jean BARNEVILLE
"Feux sur la Falaise"

Grand diseu, p’tit faiseu.

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